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Elections municipales : l’AKP paye le prix de sa politique économique

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Neuf mois après sa victoire aux élections législatives et présidentielles de mai 2023, le Parti de la Justice et du Développement (AKP) du président turc Recep Tayyip Erdoğan, vient de subir une lourde défaite lors des élections municipales par le parti fondateur de la Turquie moderne, le Parti républicain du peuple (CHP).

La défaite de l’AKP face à la fatigue de la société turque

Ekrem İmamoğlu, candidat CHP se maintient à la tête de la mairie d'Istanbul.
İmamoğlu se maintient à la tête de la mairie d’Istanbul.

Le 31 mars 2024, l’AKP a connu sa pire performance électorale depuis son entrée dans l’arène politique en 2002. Ayant récolté seulement 35,5 % des voix lors des élections municipales, l’AKP a vu le CHP, principal parti d’opposition, remporter 37,7 % des voix. Ce meilleur score du CHP depuis 1977 a été décrit comme une « vague rouge » dans les médias locaux. En effet, le CHP a conservé sa mainmise dans des agglomérations clés comme Istanbul, Ankara et Izmir en franchissant son plafond habituel de 25 % depuis deux décennies.

Si le CHP a longtemps exercé son influence dans les villes côtières de l’ouest de la Turquie, il vient également de remporter des municipalités en Anatolie centrale, fief traditionnel de l’AKP. De plus, la ville d’Adıyaman, durement touchée par le séisme de février 2023, est passée aux mains du CHP. Longtemps fidèles à l’AKP, les électeurs de cette ville du sud-est du pays ont préféré voter pour le CHP en raison de leur mécontentement face aux promesses faites par Erdoğan lors de sa campagne présidentielle de 2023 concernant les travaux de reconstruction de la ville.

Le taux de participation à ces élections était de 78,6 %, soit une baisse de 6 % par rapport à 2019. Cette diminution s’explique par le désenchantement de la population turque face à la vive polarisation de la société depuis les élections de mai 2023. Face à leurs demandes insatisfaites, beaucoup d’électeurs ont préféré s’abstenir plutôt que de sustenter des jeux d’alliances.

L’enjeu particulier de la ville d’Istanbul

Istanbul, poumon démographique, économique et culturel du pays, représente un enjeu majeur puisque cette ville est un tremplin vers la présidentielle. En effet, selon le dicton turc : « celui qui tient Istanbul tient la Turquie ». Erdoğan, briguant son dernier mandat présidentiel, y avait débuté sa carrière politique en 1994 en tant que maire.  De son côté, Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul depuis 2019 se maintient à la tête de la ville. Figure kémaliste âgée de 54 ans, İmamoğlu se pose déjà en futur candidat à la présidentielle de 2028 malgré les menaces de poursuites judiciaires entreprises par le gouvernement contre lui. En effet, l’édile est poursuivi depuis fin 2022 pour « insulte » aux membres du Haut conseil électoral turc.

Le pragmatisme du CHP face à ses précédents échecs

La victoire du CHP en mars 2024 est d’autant plus marquante puisqu’il n’a reçu le soutien d’aucun autre parti. En effet, lors des élections de 2019 et 2023, le CHP avait bénéficié du soutien du parti pro-kurde (DEM) et de formations nationalistes ayant décidé de faire cavaliers seuls lors des municipales de 2024 du fait du revers essuyé par « l’Alliance de la nation » aux élections législatives et présidentielles de 2023. Cette alliance, composée d’organisations politiques dont beaucoup de cadres sont issus de partis de centre-droit et nationalistes autrefois alliés à Erdoğan, n’avait comme élément rassembleur que sa farouche opposition à Erdoğan. Cette coalition avait alors éloigné le CHP de ses principes fondamentaux de social-démocratie et pourrait avoir coûté des voix au parti. Le succès récent du CHP s’explique également par le changement de dirigeant mais aussi par son programme répondant aux préoccupations quotidiennes des électeurs.

Les électeurs ont exprimé leur mécontentement à l’égard de l’AKP et de sa gestion de la crise économique. En mars, le taux d’inflation a atteint 68,5 % et de nombreux électeurs ont estimé que les politiques économiques peu orthodoxes du président Erdoğan en étaient la cause. Des villes qui étaient traditionnellement des bastions de l’AKP, telles que Bursa, Balıkesir et Uşak ont préféré faire allégeance au CHP. De même, des districts réputés conservateurs comme Üsküdar et Fetih à Istanbul et Keciören à Ankara ont également choisi le CHP.

La surprise du parti islamo-conservateur 

Le Nouveau parti de la prospérité (YRP), parti islamiste crée en 2018, est arrivé en troisième position avec 6,2 % des voix. Il a réussi à capter une partie de la base conservatrice de l’AKP. Il y est parvenu en partie en se posant en détracteur des politiques du gouvernement à l’égard d’Israël. En effet, malgré les critiques acerbes d’Erdoğan à l’égard des actions d’Israël à Gaza, la Turquie a maintenu d’importants volumes d’échanges commerciaux avec l’État hébreu. De plus, l’AKP s’est heurté au refus du YRP de rejoindre son alliance électorale. Ses trois conditions n’ont pas été remplies : la cessation de toute transaction commerciale avec Israël, la fermeture de la base otanienne située à Kürecik et l’augmentation des pensions à 20 000 livres turques (contre 11 000 actuellement).

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Ameerah Ismael

Diplômée d'un master en Relations internationales et Diplomatie et d'une licence en Langues étrangères appliquées (anglais-arabe-hindi) de l'Université Jean Moulin Lyon 3. Intéréssée par les enjeux politiques, militaires et sociétaux au Moyen-Orient mais également à l'Extrême-Orient.

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